« previous article table of contents next article »

1° DES CHIMÈRES VIVANTES.

Les dents des Chimères vivantes, dont on a fait les genres Chimaera et Callorhynchus, méritent d'autant plus de fixer notre attention, qu'elles sont le seul terme de comparaison que nous ayons pour déterminer les rapports naturels de ces genres avec les nombreuses espèces fossiles de cette famille que l'on trouve dans la série des terrains jurassiques, crétacés et tertiaires, et dont le nombre s’élève á vingt-huit, que l'on peut ranger dans sept genres.

Les dents antérieures ou intermaxillaires du Chimaera monstrosa sont oblongues et à-peu-près deux fois plus hautes que larges; elles se terminent en avant par un bord transverse tranchant (Tab. 40, fig. 4 et 5 a, a) . Elles sont composées á l'extérieur de côtes verticales, de substance très-dure, alternant avec d'autres d'une moindre consistance, d'où il résulte que leur bord tranchant apparaît dentelé par suite de l'usure. A la face interne, on distingue une série de lames obliques, superposées parallèlement les unes aux autres; ces lames ne s'étendent pas jusqu'au bord des dents, qui est taillé en biseau (fig. 4) , mais cessent au point de jonction avec les maxillaires. Dans les espèces fossiles, les dents intermaxillaires sont généralement plus grosses que dans l'espèce vivante, et ont un bord plus large pour agir contre la pointe de la mâchoire inférieure. La structure lamellaire existe également dans ces dents, mais elle est masquée par une lame de dentine qui entoure la face interne comme la face externe.

Quant aux dents maxillaires supérieures, sir Philipp Egerton m'a fait remarquer que toutes les figures qu'on en a données pèchent par leur position qui est inexacte et qui provient de ce qu'elles ont été faites d’après des dents détachées. Lorsqu'elles sont en place, les dents de la mâchoire supérieure ne sont pas placées verticalement, comme dans mes figures, mais horizontalement, de manière á former sur le palais un plancher osseux comme dans le genre Callorhynchus. Dans cette position, la symphyse des maxillaires et des intermaxillaires est continue, et ces derniers cachent l'extrémité antérieure des premiers. Ces plaques sont à-peu-près triangulaires (fig. 4 et 5 b, b) ; le bord interne, qui est le plus large, est coupé carrément et correspond á celui du côté opposé; ils sont tous deux faiblement réunis sur la symphyse; le bord postérieur est droit, le bord extérieur est échancré, tranchant et même dentelé en avant, par suite de la structure de la plaque dentaire qui est composée de côtes d'inégale densité, comme celle de l'intermaxillaire. L'extrémité antérieure est usée, parce qu'elle seule sert á triturer les alimens; le reste de la face interne est lisse et concave, avec une quille obtuse, parallèle au bord interne. La face externe est convexe. Dans les espèces fossiles, cette pièce offre des particularités notables qui peuvent être envisagées comme de bons caractères pour les distinguer génériquement des vivantes.

La mâchoire inférieure (fig. 2) a une forme rhomboïdale; sa plus grande hauteur est en avant, le long de la symphyse; elle va en se rétrécissant graduellement en arrière. Le bord supérieur, qui est acéré, offre une saillie obtuse au milieu; sa moitié antérieure est échancrée, lisse et tranchante, la moitié postérieure est droite et dentelée, en conséquence de l'alternance de côtes verticales de consistance inégale, comme il en existe dans les plaques intermaxillaires, et que l'on distingue surtout á la face extérieure de la mâchoire (fig. 2). Le milieu de la face intérieure (fig. 1) présente en outre une arête arrondie, parallèle au bord antérieur, dont fig. 3 montre la coupe, et qui se termine sous la saillie du bord supérieur par un tubercule triturant (fig. 1) . Entre cette arête et le bord antérieur, la surface extérieure et la surface intérieure de la mâchoire sont parallèles entre elles; mais en arrière, les deux surfaces vont en convergeant, de manière á se réunir en un bord tranchant, qui est le bord postérieur de la mâchoire. La forme et la disposition de cette mâchoire la rendent plutôt propre à couper qu'à triturer les alimens; tandis que la mâchoire inférieure du genre Callorhynchus est évidemment destinée á les broyer contre la plaque de la mâchoire supérieure.

Dans les espèces fossiles, la structure de la mâchoire inférieure présente un singulier assemblage de caractères particuliers des deux genres vivans de celte famille; c'est ainsi que la forme échancrée, tranchante et verticale de la mâchoire de la Chimère est combinée avec un large appareil de trituration, analogue á celui du genre Callorhynchus. Cependant, le type des vraies Chimères prévaut dans la conformation de la mâchoire inférieure des espèces fossiles. Seulement celles-ci se distinguent constamment par plusieurs caractères; et d'abord la symphyse des deux branches de la mâchoire est moins étendue et, de plus, oblique; ce qui met une plus grande partie de sa surface intérieure en rapport avec les surfaces de trituration de la mâchoire supérieure. Le bord de la symphyse a en outre un large et profond sillon dans les espèces fossiles, tandis qu'il est coupé carrément dans l'espèce vivante. Enfin, á la face interne de l'angle postérieur et supérieur de la mâchoire inférieure, il y a un second tubercule de trituration qui n'existe pas dans l'espèce vivante. La partie postérieure de cette mâchoire n'offre pas de côtes verticales dans les espèces fossiles, comme dans la vivante. En revanche, sa structure est très-compliquée; la partie antérieure est formée de lames superposées, légèrement arquées et parallèles entre elles, recouvertes par une lame émaillée  et qui occupe tout l'espace correspondant aux pièces intermaxillaires, dont la structure est tout-à-fait semblable. La structure tubuleuse de la mâchoire dendritique se retrouve aussi dans les tubercules de la mâchoire inférieure; le reste de la mâchoire a tantôt l’aspect d’un os fibreux, tantôt celui île la dentine. La surface extérieure de la mâchoire est recouverte  le long de sou bord tranchant, d'une large lisière d’émail, qui est interrompue au bord de la gencive, tandis que dans l'espèce vivante, toute la surface extérieure a un aspect uniforme.

Dans le genre Callorhynchus, dont M. Owen a très-bien décrit les mâchoires et donné des figures qui les représentent de différens côtés, les pièces intermaxillaires sont étroites, (affilées en avant et saillantes en forme de bec, tandis que les pièces maxillaires supérieures sont de forme triangulaire avec des angles antérieurs et postérieurs internes arrondis. Leur face interne est convexe et munie d'un renflement particulier au milieu. Leur bord extérieur peut á certains égards, être comparé aux dents rudes des Cestracions; la face externe est concave. La mâchoire inférieure est également triangulaire ou à-peu-près, mais ses bords supérieur ou antérieur, et inférieur ou postérieur, sont légèrement arqués; la surface masticatoire est large et convexe; elle est séparée du bord extérieur de la mâchoire par une lame tranchante et arquée; la face extérieure de la mâchoire est elle-même concave.