« previous article table of contents next article »

CHAPITRE XXIV. DU GENRE CARCHARODON Smith

Ce genre a été établi par Smith (Proceedings de la Société géologique de Londres), qui y range les Carcharias pourvus d'une caudale en forme de croissant et armés de dents fort larges, dentelées sur leurs bords et de forme triangulaire. Le type de ce nouveau genre est le Carcharodon Lamia Bonap. (Carcharodon Rondeleti Müll. et H.) dont le Prince de Canino a donné la première bonne figure dans son Iconographia della Fauna Italica. MM. Müller et Henle n'ont pas seulement sanctionné la distinction faite par M. Smith, mais ils ont encore éloigné complètement les Carcharodon des Carcharias pour les placer dans une autre famille, celle des Lamies, á côté du genre Oxyrhina. C'est en effet là la place qui semble leur convenir le mieux d’après la forme et la physionomie générale du C. Lamia aussi bien que d’après la structure microscopique de leurs dents, dont la dentine est massive, á canaux réticulés á l'intérieur, comme dans les Oxyrhines et les Lamies, tandis qu'elle ne présente qu'une seule cavité pulpaire chez les vrais Carcharias (voyez plus bas). Or, comme les espèces fossiles présentent pour la plupart la même dentition, nous n'hésitons pas un instant á les ranger dans le genre Carcharodon. Nous supposons donc que les Carcharodon fossiles étaient, comme le C Lamia, des poissons plutôt trapus qu'élancés. Les dimensions considérables de la plupart des dents nous font en outre penser que c'étaient des poissons de grande taille; car nous admettons que dans les limites d'un genre bien circonscrit, les dimensions des dents peuvent donner des indices approximatifs sur la taille de l'animal qui les portait, et si le C. Lamia, dont les dents ont un pouce et demi de haut et un pouce de longueur et au delà, proviennent d'un animal qui, comme nous l'apprennent MM. Müller et Henle, atteint jusqu’à quatorze pieds et demi de longueur, il est fort naturel d'en conclure que le C. megalodon et le C. rectidens ont dù être sensiblement plus grands, puisque leurs dents ont jusqu’à quatre pouces et demi de hauteur. Mais ces rapports entre la grandeur des dents et la taille du poisson cesseraient d’être vrais si on voulait les appliquer á tous les Requins ou seulement aux familles voisines du C. Lamia. Nous savons qu'il existe des Requins, les Pèlerins (Selache), par exemple, qui ont jusqu’à trente-deux pieds de longueur, et cependant leurs dents n'ont que quatre á cinq lignes de haut et environ trois lignes de longueur á la base.

Pour donner une idée de la dentition des Carcharodon, j'ai représenté en grandeur naturelle toute la mâchoire du C. Lamia, Tab. F, fig. 3 (Dans l'explication des planches, cette espèce est désignée sons le nom de Carcharias verus, dénomination qui ne saurait être conservée maintenant que les Carcharias et les Carcharodon sont distingués génériquement). Une première remarque á faire á ce sujet, c'est que ces dents sont loin d’être aussi dissemblables dans les deux mâchoires que celles des vrais Carcharias, et ceci nous rassure d'entrée sur la valeur des déterminations de dents isolées que nous avons tentées dans ce chapitre. La forme générale de toutes les dents est celle de triangles isocèles; celles de la mâchoire supérieure sont en général un peu plus larges que celles de la mâchoire inférieure; les antérieures, c'est-à-dire les plus rapprochées de la symphyse ont les côtés à-peu-près entièrement droits; les suivantes ont le bord postérieur de plus en plus échancré, et les dernières, qui sont très-petites, sont presque dépourvues de cône médian. Les dents de la mâchoire inférieure sont élancées et échancrées de la même manière des deux côtés; mais ce qui les distingue surtout de celles de la mâchoire supérieure, c'est la présence d'une échancrure assez sensible dans l'émail, á la base de la couronne, tandis que les dents de la mâchoire supérieure sont tout d'une venue; ou bien l'échancrure, lorsqu'elle existe, est á la limite entre la racine et l'émail. Tout le pourtour de l'émail est garni de dentelures très - distinctes et uniformes dans les dents des deux mâchoires. La face externe est plate, voire même concave vers la pointe. Il existe aussi souvent á la base de l'émail des plis plus ou moins gros, ainsi que le montre la fig. Sade de Tab. F, qui représente une dent du milieu de la mâchoire supérieure vue par la face externe. La face interne est plus ou moins régulièrement bombée. La racine est fort haute, á base très-concave. L'émail descend plus bas á la face externe qu'à la face interne. Sur cette dernière l'on remarque ordinairement entre le commencement de l'émail et le renflement de la racine un espace plus ou moins large, qui est dépourvu d'émail. La base de l'émail est toujours plus échancrée á la face interne qu'à la face externe.

Certaines espèces fossiles ont á leurs bords antérieur et postérieur des bourrelets plus ou moins prononcés, qui dans beaucoup de cas sont très-utiles á la détermination spécifique, mais qui seuls ne me paraissent cependant pas suffîsans pour justifier l'établissement d'une nouvelle espèce, surtout lorsque leur forme est irrégulière.

Quelques espèces diffèrent des autres en ce qu'au lieu d'avoir la forme d'un triangle isocèle, elles sont très-arquées au bord antérieur. Tels sont les C. leptodon, disauris, megalotis, heterodon, Tab. 28, que l'on devra peut-être un jour isoler des autres pour en faire un genre à part. Ce qui pourrait surtout faire croire que ces dents constituent un type particulier, c'est que dans l'espèce vivante cette tendance des dents postérieures á se courber en arrière est á peine sensible, tandis qu'elle est très-constante dans les Lamies et dans la plupart des vrais Carcharias.

Quant á la répartition géologique des espèces, il est un fait qui ne peut manquer de frapper dans l’étude de ces poissons, c'est que les vrais Carcharias couplent un très-grand nombre d’espèces dans l'époque actuelle, tandis qu'on n'en connaît que fort peu de débris fossiles. En revanche, le genre Carcharodon qui n'est représenté dans notre époque que par une seule espèce, le Carcharodon Lamia, compte un grand nombre d'espèces fossiles. Ceci nous prouve qu'alors même qu'un type paraît comme isolé au milieu d'un ordre ou d'une classe d'animaux, on ne doit pas pour céla hésiter á le distinguer génériquement; car il n'est pas rare, et le C. Lamia en est un exemple, qu'un type qui frappe par son étrangeté parmi les espèces vivantes, ait une foule d'analogues parmi les débris des créations passées.

Le genre Carcharodon ne remonte pas au delà des terrains tertiaires. Les plus anciens débris paraissent provenir du calcaire grossier, mais c'est dans les dépôts dé l’âge de la molasse que l'on en trouve le plus grand nombre.

Les espèces connues jusqu’à ce jour se montent á dix-huit. Mais comme dans ce nombre il y en a plusieurs qui ne sont connus que par un exemplaire, il est probable que l'on sera conduit par la suite á en identifier plusieurs, lorsque l'on connaîtra mieux les variations qui peuvent exister pour toutes les espèces dans la dentition des deux mâchoires aux différentes époques de leur vie.

Nous avons dit plus haut que la plupart des espèces fossiles rentraient dans le genre Carcharodon, ensorte que le nom de Carcharias, sous lequel elles se trouvent inscrites sur nos planches, ne devra être conservé que pour le Carcharias tenuis.